C’était ce 24 novembre. Une discussion où les opinions des différents partis étaient clairement exposées et débattues.

Pour lire l’entièreté des interventions, suivez ce lien.  La discussion commence à la page 45.  https://www.lachambre.be/doc/PCRA/pdf/55/ap216.pdf

Voici ici, le texte que j’ai lu à la Tribune.

Marie-Colline Leroy (Ecolo-Groen):

Nous avons eu des discussions techniques en commission. Le rapport étant excellent, je ne reviendrai pas sur ces aspects. Je préfère parler de ceux qui sont concernés par cette réforme et d’une personne en particulier, une fille, mon amie Citlalli avec qui j’ai commencé des études il y a vingt ans. Je suis enseignante, j’ai un temps plein, je suis nommée et je ne crains pas grand chose. Elle est comédienne et crée à partir de l’image du clown.
Elle offre un spectacle de claquettes fabriquées en direct, sur scène, avec des canettes trouvées sur le bord du chemin; elle se met à jouer du violon avec des gants de boxe. Pour arriver à ce résultat remarquable et émouvant, il y a des heures de travail et pendant tout ce temps de préparation, elle ne peut garantir le résultat, elle ne sait pas si le spectacle plaira, si les spectateurs viendront. Sa vie est faite de hasards, de chances, d’opportunités. Toutes ces heures ne sont jamais rémunérées. Si c’était le cas, le spectacle serait impayable. Et c’est le cas de toute création, des métiers techniques ou de soutien.
Pour les écologistes, la culture ne peut devenir un produit de consommation avec valeur économique à la clé, bradé et mis sous pression. C’est un besoin essentiel, vital. Que faites-vous pour vous détendre? Quel genre d’activités faites-vous en famille? On écoute de la musique, on lit, on va voir une expo, un film. Nos réflexes sont souvent tournés vers ce genre d’activités. Derrière nos moments de ressourcement, il y a tout un écosystème, qu’il faut protéger coûte que coûte.

Fin mars 2020, mon collègue Mattoe Segers, qui suit ces matières à la FWB, nous prévenait que tout un secteur allait trinquer, et que la protection sociale était tout à fait
insuffisante. Nous nous sommes donc mis au travail: des dizaines de réunions avec les fédérations, des heures au téléphone, des auditions, des échanges de vue, un accord de gouvernement, des négociations, de la concertation, des arrêtés royaux et enfin, aujourd’hui, ce texte.
Pourquoi défendons-nous à ce point la création d’un statut pour les intermittents de la culture? Pour protéger l’innovation, la création et toutes les fonctions qui la soutiennent, dans un but d’émancipation citoyenne et collective. Ce n’est pas simple de former de jeunes citoyens engagés, solidaires et critiques, et la culture y contribue.
Il était question de sortir du chômage et de sa logique de contrôle: peut-être que l’espace dédié à cette protection sociale n’est pas idéal et qu’il faudrait trouver un autre mécanisme. Ensuite, il ne faut pas que l’activité artistique et culturelle serve les intérêts d’un système mercantile et néolibéral.
La culture est en proie à la marchandisation. Nous devons nous préserver de ce qui paie, de ce qui est rentable. La Belgique est reconnue et estimée, au- delà des frontières, pour avoir su privilégier l’audace, l’originalité, l’inattendu. Financer des tentatives ratées, des projets inaboutis, c’est une bonne chose. Nous ne voulons pas que les artistes soient soumis à la bonne grâce de ceux qui seraient d’accord de les financer.

13.24 Björn Anseeuw (N-VA): Mme Leroy parle de mercantilisme néolibéral, mais, ce faisant, elle réécrit l’histoire à l’envers. Michel-Ange est-il également un exemple de mercantilisme néolibéral? A-t-il peint la Chapelle Sixtine en guise de faveur à l’intention du pape ou en raison de la rémunération proposée?
13.25 Marie-Colline Leroy (Ecolo-Groen): Votre exemple est très intéressant. Nous voulons que les travailleurs de ce secteur ne dépendent pas, comme Michel-Ange, du bon vouloir de mécènes, et que celui qui souhaite proposer une alternative artistique originale puisse tenter l’expérience. C’est un choix politique.
13.26 Björn Anseeuw (N-VA): Mme Leroy donne l’impression qu’un Michel-Ange était une victime, parce qu’il dépendait d’une personne disposée à rémunérer son travail. Cette affirmation est trop simpliste. Le projet à l’examen rend les artistes de plus en plus dépendants du bon vouloir de leurs concurrents. En outre, la Commission du travail des arts est autorisée à fixer ses propres critères et à les modifier quand elle le souhaite. Apparemment, le gouvernement préfère que les artistes dépendent de l’État plutôt que d’être appréciés par des individus qui s’intéressent à leur travail.
13.27 Marie-Colline Leroy (Ecolo-Groen): Michel- Ange fut tributaire du bon vouloir de mécènes et de la confiance témoignée en sa capacité artistique.
Combien de Michel-Ange n’ont-ils pas pu émerger, faute d’opportunités? Je vous invite à lire Ken Follett qui décrit le fonctionnement du mécénat et de la création culturelle à cette époque, et qui montre les difficultés de l’exercice artistique quand il n’y avait pas de protection. Soutenir les travailleurs de ce secteur complexe constitue un grand progrès.
Vous dites que la commission sera une foire d’empoigne et qu’il y aura des passe-droits et des alliances, mais il y aura un règlement d’ordre intérieur et des critères clairs sur les objectifs attendus pour obtenir une attestation ou une attestation+. On peut questionner la fiabilité des membres mais c’est le même mécanisme pour toutes les évaluations.
13.27 Marie-Colline Leroy (Ecolo-Groen): J’ai demandé au ministre de nous transmettre le règlement d’ordre intérieur et les objectifs une fois établis ainsi que les premiers dossiers évalués pour que nous puissions en débattre et garantir le bon fonctionnement de cette commission. De plus, les membres sont assez diversifiés pour éviter ces dérives. C’est comme si on remettait en question la concertation sociale en disant que les employeurs et les employés sont juges et parties quand ils traitent du droit du travail, ou quand les enseignants
évaluent si l’apprentissage est réussi.
13.28 Björn Anseeuw (N-VA): Les critères doivent encore être définis. Nous ne pouvons donc pas savoir s’ils seront clairs. Sans aucun contrôle parlementaire, les artistes peuvent décider pour eux-mêmes et, de surcroît, changer sans cesse les critères. C’est l’arbitraire total. Je n’ai aucun problème avec la concertation sociale, mais j’ai un problème avec le fait que les contribuables deviennent des tiers payants pour quelque chose sur laquelle ils n’ont rien à dire. Les partisans de ce projet veulent libérer les artistes en les rendant dépendants des pouvoirs publics.
13.29 Marie-Colline Leroy (Ecolo-Groen): Je ne  partage pas votre lecture. Les organes concernés sont représentés dans cette commission: ONEM, INASTI, syndicats, et représentants des employeurs et des employés. Vous dites que cela ne financera pas la sécurité sociale, j’y reviendrai. Mais les externalités du secteur culturel sont positives.
Nous défendons un modèle le plus ouvert possible où chacun trouve sa place et un droit garanti, c’est- à-dire une protection sans retour sur investissement financier. Il faut en outre valoriser l’écosystème culturel dans sa globalité, consolider la reconnaissance des techniciens et de la formation, et reconnaître les difficultés des femmes dans ce secteur en leur permettant de se construire une carrière intéressante.
Toutefois, les écologistes sont réalistes. Nous avons saisi l’opportunité de l’accord de gouvernement. En sortie de crise, il fallait agir rapidement pour éviter que les non-protégés ne
revivent la catastrophe. La volonté partagée était de travailler à partir du cadre existant: les mesures dérogatoires aux allocations de chômage.
C’est sur cette base que nous avons accepté de travailler. Les propositions ne sont pas parfaites mais elles sont tout à fait acceptables. Le système montre les limites du chômage classique et soulève la question de l’équité vis-à-vis des autres bénéficiaires. Plutôt que d’harmoniser vers le haut, le risque est de niveler vers le bas. J’ai entendu dans les débats, par exemple, que l’on ne pouvait envisager de réduire la dégressivité des allocations, par équité envers les autres. Mais bien sûr qu’on peut travailler sur la dégressivité, d’autant que le
rapport de l’OCDE montre les limites des mesures anti-abus.
Je voudrais revenir sur le caractère irremplaçable du travailleur pour être éligible à l’attestation, qui cause des inquiétudes. Qui est irremplaçable dans le secteur? Cette question a entraîné de nombreux échanges. Il faut considérer ce critère en adéquation avec ce qui se passe réellement.
Certains grands noms sont irremplaçables. Que l’on songe à Benoît Poelvoorde, Amélie Nothomb, Philippe Geluck ou d’autres. Les noms connus de la scène culturelle belge, ne représentant qu’une fraction de l’écosystème global, n’ont pas besoin de la protection sociale dans le régime dérogatoire de l’assurance chômage. Mais combien d’Arno ou d’Émilie Dequenne avons-nous perdus parce qu’ils ont été asphyxiés financièrement et ont renoncé? Si on devait se contenter des quelques noms célèbres, l’offre culturelle en pâtirait.
Ces noms connus drainent aussi des équipes de l’ombre, indispensables. Sans elles, pas de diffusion et pas d’externalités positives liées aux activités péri-culturelles (horeca, etc.).
Le PIB de l’économie créative à Bruxelles est très important. Le paradigme devait changer et c’est fait.
Personne n’est irremplaçable, mais tout le monde est indispensable. Quelques nouveautés intéressantes sont à pointer: le principe d’évaluation et de monitoring qui permettra de mieux connaître le secteur; un cadastre, dont l’absence était problématique; une forme de concertation sociale, permettant d’impliquer les travailleurs des arts; une valorisation du travail non rémunéré, par la reconnaissance du temps investi; la reconnaissance du travail préparatoire en début de carrière; la valorisation des longues carrières et le renouvellement facilité
après 18 ans de carrière. On reconnaît aussi les périodes liées à la parentalité à travers les congés de maternité, de naissance et d’adoption par divers mécanismes: soit on prolonge les périodes de référence, soit on diminue les quotas de jours à justifier.
Pour nous, cette première phase est très honorable. Ce long travail s’est fait en concertation avec le secteur et nous serons très attentifs à la suite. Concernant l’information, je ne suis pas sûre que la plate-forme numérique suffira mais il y a d’autres possibilités et du budget. Nous suivrons de près le fonctionnement de la Commission.
En deuxième phase, la révision des barèmes dans les commissions paritaires est aussi une clé de meilleures conditions de travail et de la revalorisation des pensions.
Enfin, je remercie mes collaboratrices qui n’ont pas ménagé leurs heures face aux demandes du secteur et des fédérations.
Nous voterons ce projet avec conviction.