Marie-Colline Leroy (Ecolo-Groen):

Monsieur le ministre, faut-il le rappeler, pour les écologistes, il est plus que temps de revoir la protection et l’aide sociale sous un angle individualisé. Nous en avons déjà discuté ensemble.
Comme on le sait, le statut de cohabitant ne correspond plus au modèle de famille actuel. Il crée trop souvent un déséquilibre financier important et de ce fait, impacte les choix de cohabitation entre parents et enfants majeurs par exemple, vis-à-vis des couples, des nouveaux modèles, surtout de colocation, etc.
Revoir ce modèle permettrait de vivre la colocation comme une mesure contre l’isolement social, mais aussi un meilleur partage des coûts, un accès à des logements plus grands et en meilleur état, une facilitation dans l’organisation, les trajets, la vie quotidienne, etc. On y voit toujours beaucoup d’avantages dès lors qu’on y regarde de plus près.

J’imagine que vous avez pu le suivre lors de nos travaux en séance plénière la semaine dernière. Nous avons eu la chance de voter à l’unanimité une proposition de résolution dans laquelle nous demandons au gouvernement « d’analyser, dans le cadre du groupe de travail créé au sein du SPF Sécurité sociale afin d’examiner s’il convient ou non de supprimer progressivement le statut de cohabitant légal, comment les nouveaux modes de vie et de vie commune et les nouvelles formules de prise en charge peuvent être mieux prises en compte dans le cadre des politiques mises en œuvre, en matière de fiscalité et de sécurité sociale ».

Monsieur le ministre, si mes souvenirs sont bons, il me semble que dans votre note de politique générale de début d’année, vous aviez également fait allusion aux nouvelles formes de cohabitation. Dès lors que cette résolution a été votée avec grand enthousiasme la semaine dernière, j’aurais voulu vous entendre concrètement sur la suite que
vous allez donner à cette recommandation et sur la façon dont vous envisagez de revenir sur cette question précise dans vos travaux concernant l’individualisation des droits.

 Frank Vandenbroucke, ministre:

Chères collègues, bien que de nombreuses publications parlent d’individualisation des droits sociaux, je dois constater qu’en réalité aucune estimation récente n’a été faite concernant l’impact budgétaire de cette mesure et ses effets sur la précarité et le risque de pauvreté. Il n’est donc pas possible de fournir à ce stade une réponse
complète à vos questions.
De plus, dans le domaine de la protection sociale, la notion de cohabitation n’est pas uniforme: elle varie selon les branches de la sécurité sociale ainsi que selon le type d’aide sociale. La notion de cohabitant de fait est généralement utilisée et non la notion de cohabitant légal. Parfois la cohabitation a une influence sur l’ouverture de droits, parfois sur le montant de l’indemnisation accordée. Ainsi, pour ce qui relève de mes compétences, la cohabitation ouvre des droits en assurance obligatoire soins de santé.
Ce que l’on entend par suppression du statut de cohabitant n’est pas clair non plus. Il est souvent présupposé que le montant de la prestation sociale octroyée au cohabitant serait portée au niveau de celle octroyée à un isolé, mais ce n’est pas nécessairement clair.

Pour que les estimations de l’impact budgétaire de la suppression du statut de cohabitant aient un sens, il est important de clarifier ce que l’on veut mettre en place.
En guise de réponse partielle, quelques estimations peuvent néanmoins être communiquées aux différents secteurs de notre protection sociale. Dans le cadre du Plan fédéral
de lutte contre la pauvreté, sous la coordination de ma collègue la ministre Lalieux, le SPP Intégration sociale a calculé que le relèvement du montant
« cohabitant » jusqu’au montant « isolé » entraînerait une augmentation des dépenses pour le revenu d’intégration de 14,4 %, c’est-à-dire 146 millions d’euros.

Le modèle de micro-simulation du SPF Sécurité sociale BELMOD a aussi permis de simuler un scénario dans lequel, pour le revenu d’intégration la GRAPA et l’ARR (allocation de remplacement de revenu), les montants pour un cohabitant seraient portés à 80 % du montant pour une personne isolée. Les simulations ont été réalisées sur la base des dépenses sociales de 2018. Selon la simulation, les dépenses totales pour le revenu d’intégration, la GRAPA et l’ARR augmenteraient de 8,3 %. Cela représenterait un coût annuel de 295 millions d’euros.
Des estimations ont également été demandées à l’ONEM, à l’INAMI et à l’OSFP pour leurs secteurs respectifs. En ce qui concerne l’ONEM, un alignement des allocations des cohabitants sur celles des isolés, tant pour le chômage que pour l’allocation d’insertion, a été estimé à 446 millions d’euros. Il faudrait évidemment aussi tenir compte
d’un certain nombre de considérations que je n’aborderai pas ici. L’INAMI et l’OSFP m’ont informé qu’aucune étude sur l’individualisation n’a été menée à l’heure actuelle.

Des calculs plus détaillés et globaux sont possibles; toutefois ceux-ci doivent être faits sur la base de choix clairs et nécessitent également du temps. Je voudrais encore formuler quelques réserves. L’individualisation des droits sociaux est une piste de réflexion dans le cadre de la réflexion sur la modernisation de notre protection sociale.
Cependant, il faut également tenir compte des différences qui existent dans la constitution des droits sociaux et examiner attentivement si une individualisation ne se fait pas au détriment de certains groupes.
Par ailleurs, j’ai pris connaissance de la résolution relative aux parents isolés et aux personnes isolées, votée en séance plénière le 19 janvier dernier. Vous faites référence à cette résolution, madame la présidente, dans laquelle il est demandé que le groupe de travail créé au sein du SPF Sécurité sociale analyse comment les nouveaux modes de vie commune et les nouvelles formules de prise en charge peuvent être mieux pris en compte dans le cadre des politiques misesen oeuvre en matière de sécurité sociale.
Comme mentionné en réponse à une question orale précédente, le groupe de travail a finalisé la première phase de ses travaux visant à mettre en évidence les différentes questions soulevées par le statut de cohabitant dans le domaine de la protection sociale. Il a commencé la deuxième phase de ses travaux visant à réfléchir aux pistes de solution possibles pour résoudre les difficultés liées à ce statut afin de soumettre des propositions de réformes concrètes aux différents
ministres compétents.
La résolution votée en séance plénière sera prise en compte dans les travaux et propositions du groupe de travail. En parallèle, nous poursuivrons notre réflexion sur la faisabilité budgétaire et les pistes pouvant conduire à une plus grande individualisation des droits.

Comme il s’agit d’un vaste chantier visant à faire évoluer notre système de protection sociale pour le rendre à la fois plus juste, plus moderne et plus conforme à notre société actuelle, il est également impératif que ce projet puisse s’accomplir en concertation avec les acteurs concernés. Voilà ma réponse, mesdames.

Marie-Colline Leroy (Ecolo-Groen):
Monsieur le ministre, j’enchaîne sur les propos tenus par ma collègue et avec lesquels je suis tout à fait d’accord. Revoir ce système, tant celui de la sécurité sociale en l’inscrivant dans davantage d’individualisation qu’en préservant le fait que cela doit s’inscrire pour la sécurité sociale et pour l’aide sociale, c’est pour nous fondamental.
C’est aussi fondamental dans la transition dans laquelle nous sommes en termes de protection sociale. En effet, il nous apparaît aujourd’hui dans les défis que nous essayons de relever, et dans le domaine de l’énergie notamment, que chauffer deux maisons alors qu’il serait possible d’en isoler une correctement et de n’en chauffer qu’une nous
semble une évidence actuellement. C’est pour nous très important.
Je constate et c’est une bonne nouvelle qu’un travail d’estimation budgétaire est en cours. Nous avions le souhait de le demander à la Cour des comptes. Les administrations se mettent au travail. La première étape d’analyse est en cours. Si vous me le permettez, je demanderai à la commission des Affaires sociales de procéder à
un échange de vues sur ces travaux en cours, ces données et estimations. Cela nous intéressera sûrement tous. J’écrirai à l’ensemble des membres de la commission pour leur proposer un échange de vues rapidement.